
© AQABABE © (Photo AFP)
Depuis quelques jours, l’influenceur AQABABE, de son vrai nom Aniss Zitouni, habituellement connu pour ses « scoops » sur le monde de la téléréalité et des célébrités, fait parler de lui pour une initiative d’une tout autre ampleur.
S’appuyant sur des rumeurs suggérant qu’il détiendrait des informations précises, il a lancé un appel à sa vaste communauté sur X (anciennement Twitter) pour mener une « enquête » parallèle et tenter de retrouver Xavier Dupont de Ligonnès, un des hommes les plus recherchés de France. Cette démarche va bousculer l’implication des réseaux sociaux au sein d’enquêtes criminelles.
Pour rappel, Xavier Dupont de Ligonnès (XDDL), est recherché depuis le 15 avril 2011, après qu’il a été suspecté d’avoir assassiné l’ensemble des membres de sa famille, du 3 au 5 avril de la même année, à l’intérieur de son domicile à Nantes.
C’est une affaire encore non élucidée qui éveille encore de nombreuses interrogations et qui continue de captiver l’opinion publique et les médias par son mystère et son caractère hors norme.
Après avoir été aperçu pour la dernière fois à l’intérieur d’un hôtel Formule 1 à Roquebrune-sur-Argens, l’ensemble des recherches en cours semblent stagner et peu nombreuses sont les nouvelles pistes qu’ont apportées les différentes sources ou infirmations au cours des dernières années.
« Retrouvons XDDL. »
C’est le mot d’ordre simple et direct que l’influenceur a publié sur X le 18 avril dernier. Rapidement devenu viral, ce post a suscité de nombreuses réactions enthousiastes comme critiques. Depuis, des milliers de personnes ont rejoint le canal Instagram, considéré comme une sorte de « quartier général » de cette « enquête communautaire participative ».
C’est là que s’organise l’effort de recherche, largement basé sur le signalement spontané de personnes ressemblant physiquement à Xavier Dupont de Ligonnès.
Retrouvons Xavier Dupont de Ligonnès. pic.twitter.com/ChKjlxNRIQ
— AQABABE (@AQABABE_) April 18, 2025
Depuis, ce sont des centaines, voire des milliers d’images de personnes ressemblant de près ou de loin à Xavier Dupont de Ligonnès, parfois floues, prises à l’insu des personnes, sans contexte précis, qui ont été publiées sur le canal Instagram. Ces clichés se diffusent ensuite massivement et rapidement sur les réseaux sociaux, alimentant l’espoir, mais aussi un certain chaos d’informations.
À l’IUT de Lannion, une courte enquête menée par N MEDIA a été portée : 48% des interrogés ont entendu parler de l’enquête d’Aqababe, et parmi ceux-là, 23% des répondants indiquent croire à ce que les recherches soient effectives. Ces chiffres montrent que si l’initiative a bien eu un écho local, la confiance en sa capacité à résoudre l’affaire reste élevée au sein de cette population étudiante.
Cette enquête menée par N MEDIA a également su indiquer que l’affaire de XDDL est connue des plus jeunes, exposés aux réseaux sociaux, avec 95% des répondants ayant déjà entendu parler des meurtres commis.
Une arrivée qui ne plaît pas au parquet de police
Le procureur de Nantes, qui suit l’affaire de près, a déclaré être « agacé de ce type d’initiatives » auprès du média RTL. Il souligne que ces mobilisations en ligne, bien qu’animées par une volonté apparente d’aider, entraînent surtout une « arrivée massive de fausses pistes et de déclarations erronées ».
Ces informations non recoupées et souvent infondées mobilisent inutilement les forces de l’ordre, qui sont tenues de vérifier chaque signalement, même les plus fantaisistes, afin de ne rater aucune piste potentiellement sérieuse. Ce travail de tri et de vérification fastidieux freine considérablement l’avancée de l’enquête officielle, déjà complexe après plus d’une décennie.
Aqababe déclare avoir reçu plus de 25 000 e-mails en quelques jours, mentionnant des pistes généralement sans sources fiables. L’une des plus relayées suggère que Xavier Dupont de Ligonnès pourrait être retrouvé à Malte.
« J’ai une piste bien concrète sur Malte, je compte m’y rendre très très prochainement, incessamment sous peu, histoire d’investiguer directement sur l’île de Gozo plus précisément » déclare l’influenceur.
Il affirme, encore une fois auprès de RTL, que les pistes perçues comme les plus plausibles seront transmises à la police judiciaire. Cette démarche va pourtant à l’encontre des indications du parquet, qui insiste sur la nécessité d’utiliser exclusivement les canaux officiels pour toute information pertinente afin de garantir leur traitement approprié et éviter les sollicitations inutiles qui parasitent l’enquête.
Un influenceur controversé
Bien qu’il ait fait beaucoup parler de lui via l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès, Aniss Zitouni est déjà connu des affaires de police et de la justice, ce qui ajoute une couche de complexité à son rôle actuel. Il a été condamné à deux reprises et même contraint de verser 12 000 euros de dommages et intérêts à Jéremstar pour cause de diffamation. Dans cette affaire très médiatisée, Aqababe avait accusé à tort Jeremstar de pédophilie, des accusations extrêmement graves dont la justice a reconnu le caractère diffamatoire.
Il faut noter que l’influenceur est connu pour diffuser des informations privées sans le consentement des personnes visées, une pratique qui a mené à de massives campagnes de cyberharcèlement, des diffusions illégales et des menaces à l’encontre des personnes ciblées. Il aurait même diffusé des photos intimes à l’insu de l’influenceuse Astrid Nelsia. Il a été également placé en garde à vue pour des affaires d’enregistrement de procédures légales.
En plus de cela, l’influenceur est visé par cinq plaintes pour pratiques commerciales trompeuses, escroquerie et abus de confiance en mettant en avant des prestations de service payantes.
Ce passé judiciaire et ses méthodes controversées soulèvent des questions sur la légitimité et la responsabilité d’une personnalité telle qu’un influenceur pour s’immiscer dans une affaire criminelle majeure. Sa démarche est-elle l’origine de bonnes intentions, ou juste un moyen de générer du buzz ?
En résumé
En somme, l’initiative d’Aqababe illustre parfaitement la portée majeure des réseaux sociaux dans la mobilisation autour d’affaires non résolues. Elle démontre une capacité forte à former rapidement une grande communauté.
Cependant, cette démarche soulève aussi de sérieuses questions quant aux risques d’une « enquête » menée en dehors du cadre judiciaire et professionnel. La pertinence des résultats est loin d’être garantie, et les conséquences négatives sont nombreuses. Si l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès continue de fasciner autant, l’ajout du public, encouragée par des influenceurs au suivi majeur, complique de manière importante le travail des enquêteurs déjà confrontés à une multitude de fausses pistes au fil des années.
Cette mobilisation initiée par AQABABE met en lumière la relation complexe entre le pouvoir de mobilisation des réseaux sociaux et les exigences du système judiciaire.
Au-delà de l’agacement légitime des forces de l’ordre face à l’afflux d’informations non vérifiées qui polluent leurs investigations, cette démarche pose de complexes enjeux éthiques et légaux. Le partage massif de photos de personnes potentiellement innocentes, assimilées à un fugitif recherché pour meurtres, soulève la question du respect de la vie privée et du droit à l’image. De plus, l’idée d’une « chasse à l’homme » organisée par un particulier via les réseaux sociaux interroge sur les dérives possibles de ce type d’initiatives.